Christine nous a envoyé ce beau texte sur le quotidien des femmes.
Le réveil sonne
Le réveil sonne, résonne, la tire du lit. Comme chaque matin, son cerveau somme à son corps fatigué de se lever rapidement. Elle n’a pas le droit de chômer, son métier c’est maman. Son origine, son voile, les contraintes familiales ne lui ont pas permis de trouver un travail en dehors de chez elle pourtant elle a des diplômes. Elle a tout essayé mais à force de portes fermées, d’entretiens loupés, d’échecs répétés, elle a abdiqué. Pendant un temps cela l’a fortement déprimée puis elle a fini par se contenter de faire ce qui semblait être sa destinée en France : s’occuper des siens, faire des ménages et des gâteaux pour arrondir les fins de mois.
Comme beaucoup de mamans, les héroïnes cachées d’un quotidien, elle trime, elle s’échine du matin au soir. Jamais un temps de repos, tête et corps toujours en activité pour accomplir son devoir. Son devoir c’est-à-dire être une femme irréprochable, charitable avec la famille, être assez, mais pas trop sévère avec ses enfants, être à l’écoute de son mari, faire que tout soit impeccable. Elle soulève le poids des courses, des poussettes, des enfants sans jamais être reconnue comme forte, sans jamais être rémunérée, ne serait-ce que d’un merci.
Ne pas penser, enchaîner les corvées, s’organiser pour le soir se retrouver assommée devant la télé. C’est un peu triste, mais elle tient pour les siens et puis par fierté. La fierté elle l’aura si elle réussit à permettre à ses enfants d’avoir ici une place qu’elle n’a pas eue. Seule cette pensée la console des rejets qu’elle vit au quotidien, à chaque guichet, quand elle sort du quartier.
Comme chacun matin, elle s’entend crier et se voit s’agiter pour que tout soit en ordre. Comme chaque matin, elle astique et habille ses trois enfants qui eux aussi aimeraient rester dans leur lit. Elle leur fait manger du bon pain qu’elle a préparé de ses mains. Au petit déjeuner, elle les fait une dernière fois réviser pour ensuite prendre le chemin de l’école avec leurs jolis souliers.
L’école ce matin, a ses portes fermées. Tous les parents sont devant attroupés. Samia ne comprend pas. On lui dit que cette nuit une poubelle a brûlé et qu’une partie des murs, pourtant grillagés, sont incendiés. Les portes sont fermées et les directrices sont en train de s’agiter pour trouver une solution.
Samia lit de l’effarement dans le regard de certains parents qui doivent être à l’heure pour un travail et une formation qu’ils ont durement obtenu. Elle sait qu’on ne leur pardonnera pas ce retard. Samia se propose de les soulager. Même si comme eux elle court toute la journée. Elle sait qu’à part dans sa tête, aucune pointeuse ne l’attend. Elle garde leurs enfants et son calme même si ça bouillonne à l’intérieur. Elle sourit. Elle a appris à se comporter comme ça dans les institutions. Elle sait que pester ne change rien, que ces gens appliquent ce qu’on leur dit de faire. Elle sait que les consignes ne prennent pas en compte les besoins des gens.
Aujourd’hui ils disent « ça suffit », « on ne peut continuer ainsi !». Si les enseignants eux-mêmes sont désemparés il va falloir agir. Les parents sont déçus car ils mettent toute leur énergie à élever des enfants. Ils font leur maximum et attendent beaucoup de l’école car ils ont peur qu’autrement ils fassent une carrière de délinquants. Les enfants sont le vivier du quartier. Les mères le savent. Elles savent aussi que leurs enfants ont ce boulet au pied, celui d’être né dans une cité, qui peut les bloquer dans leurs projets de vie.
Ce malaise éclate comme une bombe ce soir à la réunion où la mairie vient discuter très gentiment avec les parents mécontents. Ils en ont marre de devoir s’adapter tout le temps, de faire comme d’autres ont décidé. Aujourd’hui c’est la goutte de trop, qui fait déborder le vase déjà bien rempli du sentiment de non considération. Non considération renforcée par les actes de discrimination qu’ils subissent au quotidien silencieusement et qu’ils ne peuvent plus contenir. Ils sont tous très différents mais ont ce parcours similaire, celui d’être dans un quartier populaire où leurs vies sont précaires. La misère, la galère cultivent cette colère qui s’enflamme dans tous les sens ce soir.
Samia écoute et laisse parler. Mais entendre les gens se défouler sur des pantins médusés ne lui va pas. Sur le fond elle est d’accord avec eux, beaucoup de choses dysfonctionnent. On ne leur donne jamais vraiment la parole. On leur parle comme à des enfants. Leurs besoins sont ignorés, minimisés alors au moindre grain de sable dans le mécanisme tout s’échappe, dérape. C’est pour cela que de temps en temps des poubelles ou des voitures brûlent dans le quartier.
Samia sait que quand on hurle on n’est pas plus écouté, que cela donne raison à ceux qui considèrent les habitants de ce quartier comme des « sauvages ». Samia se souvient que quand elle était jeune, ils avaient d’autres moyens d’exprimer leur rage : faire du rap, danser, manifester, se regrouper dans des associations antiracistes. Cette verve lui revient à la bouche, comme le goût d’aspirer à autre chose. Autre chose qui lui donne le courage de lever le doigt pour parler. Elle s’exprime doucement, lentement, calmement parce qu’elle pense qu’elle ne sait pas parler. Pourtant ces mots sont simples, pleins de bon sens. Ils n’ont aucune peine à être écoutés et à rallier.
Autour d’elle le silence se fait. Elle dit : « Ici nous sommes tous et toutes là parce que nous voulons le meilleur pour nos enfants. Nous sommes tous d’accord pour dire que pour cela il y a ici, beaucoup de choses à améliorer. Nous sommes différents mais nous aimons tous nos enfants alors faisons en sorte de nous réunir pour leur donner le meilleur. Nous avons ce pouvoir de faire par nous-mêmes, d’être solidaires, n’attendons plus, nous avons suffisamment été déçus ! La seule manière que l’on nous considère c’est de montrer qu’avec nos faibles moyens nous avons la force de reconstruire ce qui ne cesse d’être détruit. Nous, nous avons l’essentiel, des étincelles, du cœur, des valeurs, des liens de vie qui fourmillent ici et surtout l’amour de nos enfants… »
Trois ans après, le réveil sonne, Samia est comme chaque matin toute excitée. Elle réalise le travail fait par l’association qu’après cette prise de parole de nombreuses mères ont petit à petit investie. Malgré leur emploi du temps chargé, beaucoup de projets ont été organisés. Tous les mois à l’école, elles se sont proposé d’animer les cafés des parents avec des thèmes intervenants co-choisis. Quelques mamans se sont mobilisées pour lire des histoires aux enfants. D’autres ont fait avec les plus grands une exposition sur l’histoire et l’architecture du quartier. Des fêtes d’école ont été organisées. Des journées sur la vie à la ferme et d’autres sur le goût ont été montées sur le quartier. Une exposition pour la fête des enfants avec une association turque a eu lieu sur l’université. Université qui est dans le quartier mais dans laquelle peu d’habitants mettent les pieds. Les habitantes ont ainsi fait le lien, entre des cultures différentes, des lieux et des associations. D’autres mamans, avec des associations de théâtre débat ou forum, ont fait des scénettes pour évoquer le handicap, le poids de la discrimination, et surtout les difficultés auxquelles les mamans étaient quotidiennement confrontées. Une semaine thématique a été organisée au centre de recherche de la faculté sur la question du handicap. Des vidéos ont été réalisées avec les mamans des enfants handicapés pour montrer leur réalité. Le médium de l’art a permis de mettre en valeur autant les forces et les faiblesses de ces héroïnes du quotidien. Pour le 8 mars, elles ont décidé de s’accorder des temps de bien être et d’échanges sur les sujets qui les intéressaient en tant que mère, en tant que femme. Dans tout ce travail collectif chacune a donné ce qu’elle pouvait, voulait, l’essentiel étant de contribuer. Elles se sont surpassées pour faire au mieux. Elles ont dévoilé leurs capacités en osant s’affirmer là où on ne les attendait pas, sans avoir peur d’être jugées.
Et moi l’autrice de cette nouvelle, qui m’appuie sur des faits réels, je me dis que c’est ça aujourd’hui pour moi être un vrai Héros. C’est s’écouter, c’est savoir s’unir, savoir créer, coopérer, faire parler de nous avec nos différences. C’est prendre cet auto-pouvoir, faire et se manifester même si on a nos galères. « C’est être debout pour que nos enfants soient fiers de nous ! » comme dirait Samia qui est un personnage inspiré par plusieurs mamans de ce quartier qui existe pour de vrai.
Alors comme elle, quand notre réveil sonne, où que nous vivions, comme nous le pouvons soyons des vrais héros, des héros du quotidien : les acteurs et actrices de notre vie et de changements nécessaires dans nos lieux de vie pour que ce monde tourne plus rond, en gardant comme Samia ce grand cœur qui nous permet de nous allier et nous relier par-delà les préjugés.
Auteur Christine D
Les Petits papiers de Christine (Page Facebook)
Vous faites pleurer dans les chaumières. Vous amalgamez origine ethnique, voile (donc idéologie religieuse); laissant entrevoir un racisme et un rejet idéologique de l Islam quasi systématique voir systémique “des rejets qu’elle vit au quotidien, à chaque guichet, quand elle sort du quartier.”.
Vous même n’habitez plus le lieu, épargnez nous vos poncifs éculés sur le vivre ensemble.