Reynerie Miroir à assisté à la journée :
« Le Mirail, un cas dâĂ©cole. Non aux gĂąchis des dĂ©molitions. Ne pas dĂ©molir est une stratĂ©gie. »
JournĂ©e au cours de laquelle nous avons pu entendre les auteurs de l’article de la revue Urbanisme, que nous reprenons in extenso ici :
En 2021, une Ă©quipe dâurbanistes remportait un marchĂ© de maĂźtrise dâĆuvre urbaine dont nous tairons le nom, le lieu et les acteurs, pour mieux nous concentrer sur un acteur singulier et incontournable, au centre de lâimmense majoritĂ© des projets de ce genre : lâAgence nationale de renouvellement urbain, plus connue sous le nom dâAnru.
Il sâagissait dâun projet urbain de type Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) trĂšs ambitieux (environ 316 millions dâeuros dâinvestissements) dans une grande mĂ©tropole française. Une histoire cumulant tous les poncifs du genre et qui dĂ©marre aprĂšs-guerre : 1955, la reconstruction, un ministĂšre qui commande 3 500 logements. Barres et tours sont Ă©rigĂ©es, premier exemple de construction industrialisĂ©e de logements en France, au pied dâun immense parc mĂ©tropolitain pensĂ© par un prĂ©fet visionnaire. Le tout desservi par des parkways ; on est dans le registre « moderne » de lâĂ©poque, et en lâoccurrence, dans ce qui se faisait de plus rĂ©ussi.
En 1970, un autre ministĂšre qui apparemment nâa pas connaissance de lâexistence du premier, commande deux infrastructures lourdes, une radiale et une concentrique ; la premiĂšre allait couper le quartier en deux et la seconde le sĂ©parer violemment du centre de lâagglomĂ©ration, tout en ruinant durablement lâhabitabilitĂ© de ce quartier. LâĂtat allait frapper une premiĂšre fois le quartier aprĂšs seulement une petite quinzaine dâannĂ©es de tranquillitĂ©, pas plus. Ă cela, se sont ajoutĂ©s, peu de temps aprĂšs, les trop classiques phĂ©nomĂšnes de concentration de la pauvretĂ©, pour que le tableau soit complet.
DĂ©classement total
En 2021, une cinquantaine dâannĂ©es plus tard, quand lâĂ©quipe dâurbanistes dĂ©barque, tout, absolument tout, sâest aggravĂ© : les commerces ont fermĂ©, le chĂŽmage a augmentĂ©, la dĂ©linquance sâest confortablement installĂ©e, la qualitĂ© de lâair sâest dĂ©gradĂ©e, et le bruit de lâautoroute et du pĂ©riphĂ©rique ronronne jusque dans les salons. Le dĂ©classement est total. Et câest le moment oĂč le mĂȘme Ătat que tout Ă lâheure revient en sauveur, au chevet de ce quartier en souffrance. Et quâimpose comme solution ce grand mĂ©decin des territoires quâest lâĂtat (qui avance dĂ©sormais masquĂ© sous le sobriquet dâAnru) pour sauver le quartier ? Les urbanistes le dĂ©couvrent en Ă©pluchant le dossier de consultation de cet appel dâoffres : DĂ-MO-LIR. DĂ©molir, car, ces messieurs en haut lieu lâont constatĂ©, ces bĂątiments sont dramatiquement exposĂ©s aux nuisances des infrastructures (bruit, pollution). Merci pour le diagnostic. On doit les dĂ©molir, et tant pis si on confond les causes et les effets ; lâerreur est idĂ©ale pour celui qui ne veut pas quâon sâintĂ©resse trop aux causes. La mĂ©thode que les urbanistes proposent en rĂ©ponse Ă cet appel dâoffres exprime clairement cette idĂ©e : le problĂšme ne vient pas des bĂątiments, mais bien des infrastructures. Il faut donc agir sur les infrastructures et ne pas dĂ©molir. Ils gagnent lâappel dâoffres. Aujourdâhui encore, ils ne sâexpliquent toujours pas pourquoi.
Pas de projet de renouvellement urbain sans lâAnru
Ils ne se lâexpliquent pas et pour le comprendre, il faut tenter de mĂ©taboliser ce que signifie, dans un tel contexte, cette injonction Ă la dĂ©molition, ce quâelle implique pour un tel projet de renouvellement urbain et, surtout, pourquoi il semble impossible de lutter contre celle-ci. Car dans lâimmense majoritĂ© des cas, il nây a aucun dĂ©bat possible. Puisque dĂ©battre de ce point est un affront Ă lâAnru et quâon nâaffronte pas un acteur aussi gĂ©nĂ©reux en subventions. LâAnru, le grand mĂ©decin diligentĂ© par lâĂtat, seul compĂ©tent pour sauver nos quartiers en difficultĂ©, nos ZUP, nos quartiers prioritaires de la politique de la ville, nos citĂ©s, nos grands ensembles⊠On ne fait pas de projet de renouvellement urbain sans lâAnru, tout le monde sait cela. Ăa nâexiste pas, câest une pure folie. Vous avez un projet de renouvellement urbain sur un territoire, vous appelez lâAnru. Ils conventionnent, et les subventions pleuvent gĂ©nĂ©reusement. CQFD. Il y a donc dâemblĂ©e une impasse pour celles et ceux qui veulent faire autrement, qui ne veulent pas se laisser enfermer dans le dogmatisme de cet Ătat dĂ©molisseur, qui pensent que des alternatives sĂ©rieuses et vertueuses existent, qui ont entendu parler des grands enjeux environnementaux, notamment de la dĂ©carbonation, et qui y sont sensibles.
Non, il nây a pas de dĂ©bat, car on ne peut pas risquer de froisser lâAnru et passer Ă cĂŽtĂ© dâun conventionnement. En dâautres termes : passer Ă cĂŽtĂ© des dizaines de millions dâeuros de subventions que lâAnru offre Ă ce type de projet. Câest lâĂ©vidence. Sauf que cette Ă©vidence est fragile. Et on a envie de croire que la prostitution de nos combats environnementaux pour de la subvention est peut-ĂȘtre Ă©vitable. LâidĂ©e est ici de dĂ©montrer quâil est possible de faire un projet sans lâAnru, sans dĂ©molition, sans subvention, tout en crĂ©ant de la richesse. Dans le cas assez classique prĂ©sentĂ© en introduction, on a des Ă©lus locaux (ville et mĂ©tropole) qui ne sont pas favorables aux dĂ©molitions, un bailleur social qui ne lâest pas non plus, des urbanistes et paysagistes qui ne le sont pas non plus, et ne parlons pas des habitants. Bref, sur le terrain, pour des raisons diffĂ©rentes, dĂ©cideurs, experts et habitants se rejoignent dans ce rejet de la dĂ©molition. Pour lâanecdote, quelques mois avant le dĂ©marrage de la mission des urbanistes, des banderoles sont suspendues Ă une façade par un artiste du quartier pour signifier lâattachement au bĂątiment prochainement vouĂ© Ă la dĂ©molition. Mais il est dĂ©jĂ trop tard⊠LâĂtat est dĂ©terminĂ© Ă frapper Ă nouveau. La dĂ©molition de ce premier bĂątiment dĂ©marre. Une barre incroyable, non pas dynamitĂ©e Ă lâancienne, comme sur les vieux films de lâAnru, mais dĂ©molie Ă la petite cuillĂšre, derriĂšre un voile pudique : une Ă©norme bĂąche pour protĂ©ger lâinfrastructure des gravats qui pourraient lui tomber dessus. Lâhistoire est pleine dâironie, on dĂ©molit un bĂątiment fragilisĂ© par une infrastructure, et on protĂšge lâinfrastructure pour ne pas que cette dĂ©molition la salisse.
Hystérie collective
Toute cette premiĂšre annĂ©e, dans les couloirs de cette grande collectivitĂ©, le nouvel exĂ©cutif ferraille malgrĂ© tout pour calmer les ardeurs de lâAnru ; on cherche des solutions pour limiter la casse. Pour quâils nâaient pas la peau de plus de bĂątiments. Car en rĂ©alitĂ©, le dĂ©bat en est lĂ : lâAnru en veut plus. Projet pas assez ambitieux, disent-ils aux Ă©lus. La frustration est totale, la puissance de frappe de lâAnru est telle que le dĂ©bat espĂ©rĂ© â « pour ou contre moins de dĂ©molitions » â non seulement ne peut pas avoir lieu, mais est remplacĂ© par : « encore plus, ou encore beaucoup plus de dĂ©molitions ». Tout ceci motivĂ© par lâĂ©pĂ©e de DamoclĂšs du non-conventionnement de lâAnru, câest-Ă -dire faire une croix sur des millions dâeuros. On se rebelle mollement, au mieux, on se fait marcher dessus, au pire. Câest cet Ă©tau incroyable qui pousse les collectivitĂ©s Ă accepter ces diktats, et câest sans doute ce mĂȘme Ă©tau qui pousse les urbanistes ce jour-lĂ Ă sâinterroger sur la possibilitĂ© dâun contre-projet, la possibilitĂ© de faire autrement, sans Anru. Pour demain, pour ailleurs, mais aussi secrĂštement dans lâespoir quâici et maintenant, un retournement de situation est possible, postĂ©rieurement Ă lâhystĂ©rie collective qui les pousse tous Ă aller chercher un conventionnement.
La premiĂšre Ă©tape pour eux consiste Ă gagner du temps en rendant rĂ©versible le projet, câest-Ă -dire en lui permettant de se poursuivre, quelle que soit lâissue : que les dĂ©molitions soient maintenues ou miraculeusement abandonnĂ©es. DeuxiĂšme Ă©tape : tenter de diffuser dans les tĂȘtes disponibles cette idĂ©e saugrenue dâun projet sans Anru. Ce dernier point se solde par un Ă©chec. Ă vrai dire, ils manquent dâarguments pour convaincre la collectivitĂ© quâelle pourrait se passer sans douleur de 51 millions dâeuros pour dĂ©velopper son projet. Alors quâen entrant dans le dĂ©tail de la matrice financiĂšre Anru, qui dĂ©crit comment chaque euro dĂ©pensĂ© est subventionnĂ©, il devient assez Ă©vident que la prise dâotage est lâĆuvre dâun dĂ©linquant qui tient tout le monde en joue avec un pistolet Ă eau, et non la kalachnikov imaginĂ©e par tous. La preuve tant attendue est pourtant lĂ , rĂ©vĂ©lĂ©e par les chiffres, sous les yeux de tous, mais que tous refusent de voir, par manque dâexpĂ©rience parfois, mais le plus souvent par excĂšs dâexpĂ©rience. Car quand les chiffres apparaissent, il devient simple dâimaginer ce que pourrait ĂȘtre tel ou tel projet sâil Ă©tait dâemblĂ©e pensĂ© sans Anru, sans subvention, sans dĂ©molition, mais dans une simple logique dâĂ©conomie urbaine classique et saine de ZAC, avec des recettes et des dĂ©penses. Un bon projet qui additionne le neuf et lâancien et crĂ©e de la richesse. Il suffit de se prĂȘter Ă un exercice comptable, sur la base de cette fameuse matrice financiĂšre pour sâen convaincre.
Petit exercice comptable
Lâexercice est simple : il sâagit dâabord de supprimer les lignes de subventions inutiles, Ă savoir celles qui renvoient aux dĂ©molitions, aux relogements et Ă la reconstitution. Puis de conserver les lignes de subventions utiles qui renvoient aux Ă©tudes, aux amĂ©nagements, aux espaces publics, aux rĂ©habilitations. En premiĂšre approche, dans notre cas, sur les 51 millions dâeuros de subventions Anru, on compte dĂ©jĂ 27 millions de dĂ©molitions, et 6 millions de reconstitutions inutiles. Restent 18 millions de subventions vraiment utiles.
Ensuite, il sâagit dâajouter des lignes de recettes nouvelles dont le projet ne peut pas bĂ©nĂ©ficier jusquâalors, du fait de la prĂ©sence de lâAnru. Oui ! Câest un point important dont on nâa pas encore parlĂ© : lâAnru nâest plus financĂ© uniquement par lâĂtat, mais par le privĂ©, par la FonciĂšre Logement, trĂšs exactement. LâAnru sâest privatisĂ©e ; on parle dâailleurs dâAnru 2, dĂ©sormais. Et comme au cinĂ©ma, le « 2 » est toujours moins bien que le « 1 ». La consĂ©quence de cette privatisation est quâelle confisque au projet urbain une part consĂ©quente de ses recettes, Ă cause de ce quâon appelle les « contreparties fonciĂšres ». Un foncier qui ne sera pas vendu, mais donnĂ© Ă la FonciĂšre Logement en contrepartie des gĂ©nĂ©reux financements quâelle octroie Ă lâAnru. Dans le cas Ă©voquĂ©, ces contreparties pĂšsent 17 500 m2 de surface de plancher, auxquels il faut ajouter le foncier liĂ© aux logements sociaux quâon nâaura plus besoin de reconstruire, puisquâon ne les aura pas dĂ©molis (environ 15 000 m2 de surface de plancher en social et accession sociale), auquel, pour ĂȘtre tout Ă fait honnĂȘte, il faudra tout de mĂȘme soustraire un foncier en accession libre quâon ne pourrait plus valoriser, car dĂ©pendant dâun foncier liĂ© Ă une dĂ©molition. Et dans ce fantasme, on ne dĂ©molit plus. Si on rĂ©capitule, on lâaura compris, le bĂ©nĂ©fice rĂ©el de la prĂ©sence de lâAnru dans un projet de renouvellement urbain tombe assez bas : 8,15 millions dâeuros pour ĂȘtre exact. Soit 15 % de subventions utiles sur le total glorieusement annoncĂ© de 51 millions. ConcrĂštement, la seule justification de la prĂ©sence de lâAnru dans un tel projet, câest bien cette somme de 8,15 millions dâeuros.
Sauf que, malheureusement, cette somme est anĂ©antie si on aborde le problĂšme dans sa globalitĂ©. Ă savoir, si on ne se contente pas de parler de subventions utiles, car il faut rappeler que lâAnru ne subventionne pas 100 % des dĂ©molitions et reconstitutions. En lâoccurrence, dans cette histoire, il reste Ă la charge du bailleur 122 millions dâeuros pour la reconstitution et 12 millions pour la dĂ©molition, soit 134 millions. Ce que ces calculs rĂ©vĂšlent, câest que si lâabsence dâAnru nous priverait de 8,15 millions dâeuros de subventions, elle permettrait de faire lâĂ©conomie de 134 millions de dĂ©molitions-reconstitutions, qui pourraient ĂȘtre dĂ©pensĂ©s ailleurs⊠Par exemple, dans des rĂ©habilitations ambitieuses. Si on additionne cette somme avec les 70 millions dâeuros dĂ©jĂ provisionnĂ©s par le bailleur pour les rĂ©habilitations, on atteindrait la somme de 204 millions Ă dĂ©penser utilement, peut-ĂȘtre en rĂ©habilitant plus et mieux et/ou en agissant sur les infrastructures, par exemple ?
Rapporter gros sans Anru
Ce que ces chiffres rĂ©vĂšlent, câest que lâon peut affirmer sans trembler que le renouvellement urbain sans dĂ©molition et sans Anru peut exister, quâil nây a pas de fatalitĂ©, et quâil peut mĂȘme rapporter gros en termes dâĂ©conomie urbaine et de bilan carbone. Il sâagit juste de rĂ©ussir Ă sâĂ©manciper des dogmes de cet Ătat qui impose des dĂ©penses iniques pour dĂ©molir, et subventionne inutilement les rĂ©parations de territoires quâil a lui-mĂȘme abĂźmĂ©s cinquante ans plus tĂŽt. Câest une information qui peut intĂ©resser les collectivitĂ©s, les urbanistes, et Ă©videmment les habitants quâon dĂ©loge pour dĂ©molir. Notamment les collectivitĂ©s pour lesquelles le dĂ©sastreux bilan carbone des dĂ©molitions est un sujet important. Pour rappel, une dĂ©molition, câest trois Ă©nergies dĂ©pensĂ©es : lâune pour construire, la deuxiĂšme pour dĂ©molir, la derniĂšre pour reconstruire. Une telle gabegie, en pleine crise du logement, Ă laquelle vient sâadditionner une rĂ©cente crise de lâĂ©nergie, fait quelque peu dĂ©sordre. Par ailleurs, avant de conclure, il faudrait Ă©galement noter Ă quel point la symbolique de tout cela est puissamment nĂ©gative pour le citoyen lambda : ces dizaines de millions dâeuros de subventions brandies par lâAnru pour sauver ces quartiers mal-aimĂ©s. Car au-delĂ de lâinutilitĂ© dâune grande partie de ces subventions, ainsi que de leur caractĂšre opaque (qui connaĂźt vraiment les flux financiers en jeu ?), ces subventions vĂ©hiculent une image dĂ©lĂ©tĂšre empreinte dâassistanat. Alors que, pour le coup, du strict point de vue de lâurbanisme, il nây aurait besoin dâaucune assistance pour sortir ces quartiers de lâorniĂšre.
En dĂ©roulant ces constats, on ne peut quâavoir une pensĂ©e Ă©mue pour la jeune gĂ©nĂ©ration et notamment pour ce jeune architecte en colĂšre qui, en 2022, lors dâun de ses coups de sang sur LinkedIn, mettait en lumiĂšre un film de prĂ©sentation sur la page dâaccueil du site web de lâAnru. Il y dĂ©nonçait une sĂ©quence du film qui vantait le dynamitage dâun bĂątiment et le cynisme quâil fallait pour ĂȘtre fier au point dâen faire lâautopromotion. Peu de temps aprĂšs, grĂące Ă lui, le service communication de lâAnru prenait la dĂ©cision de couper cette sĂ©quence au montage ; le film est depuis bien plus consensuel. Nombreux sont celles et ceux qui espĂšrent aujourdâhui que cette honte dĂ©teigne sur les autres services, mais rien nâest moins sĂ»r.
Alors quoi ? Un Anru 3 ? Un Anru indĂ©pendant ? Un Anru (re)nationalisĂ© ? Un Anru qui ne dĂ©molirait plus et qui subventionnerait trĂšs peu ? Un Anru qui⊠nâexisterait plus ? Oui, câest peut-ĂȘtre une piste. Le « 2 » est toujours moins bien que le « 1 ». Quant au « 3 », on se le dit Ă chaque fois : il nâaurait jamais dĂ» sortir.
ALARM CLUB
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