Rénovation urbaine / Lettre de la Présidente du Conseil National de l’Ordre des architectes

Madame Roselyne BACHELOT
Ministre de la Culture
3, rue de Valois
75001 Paris
Paris, le 1 er avril 2022

Madame la ministre,
Le projet, en cours, de rénovation urbaine du quartier populaire de la Reynerie à Toulouse
prévoit, comme vous le savez, la destruction de cinq résidences construites dans les années
1970 par l’équipe d’architectes et d’urbanistes menée par l’architecte George Candilis.
Cette destruction d’un ensemble architectural aux qualités singulières, qui a marqué
l’époque et le territoire, a ému un grand nombre d’habitants, d’acteurs locaux et
d’architectes (dont trois titulaires du Grand prix national de l’architecture), ainsi que de
l’association Docomomo, qui vous ont déjà alertée sur le gâchis patrimonial, écologique et
humain d’une telle démolition.

Nous voulons à notre tour plaider auprès de vous pour qu’une issue alternative à la
destruction soit trouvée.

Nous savons quel est votre engagement sur ces questions. Vous avez eu des paroles justes
à ce sujet en octobre dernier à l’ouverture des Journées nationales de l’architecture : en
effet, disiez-vous, sur ces sujets « les exigences écologiques rejoignent ici le respect que
nous devons au patrimoine et le besoin (…) d’inscrire nos vies dans le temps long. Chaque
fois qu’un bâtiment est détruit, c’est un morceau du passé dont nous nous coupons. »
Le Mirail, mais aussi la Butte rouge à Chatenay-Malabry, le siège de l’Insee à Malakoff, et
tant d’autres cas qui sont appelés à se multiplier avec le temps : il nous faut construire une
approche politique et culturelle globale pour le devenir du patrimoine architectural du XX ème
siècle.

Les bâtiments menacés aujourd’hui à Toulouse relèvent bien d’une architecture de l’ordinaire
exceptionnelle. La qualité des plans de ces logements, la générosité des espaces, les séjours
traversants, les espaces extérieurs, les possibilités d’adaptation, l’éclairage naturel, et, d’une
manière générale, l’inventivité et l’innovation dans leur conception, font référence
aujourd’hui malgré le vieillissement du bâti et la dégradation des espaces communs.
Ce sont des qualités que vous-même et la ministre déléguée au Logement avez œuvré pour
imposer aux futurs logements neufs. De telles mesures ont été rendues nécessaires pour
réagir à la dégradation de l’habitat construit ces vingt dernières années, oublieux justement
des qualités dont les résidences du Mirail avaient été, et sont toujours, un exemple
remarquable.

Il faut aussi souligner l’erreur écologique que représenterait la démolition d’un tel ensemble
suivi de la reconstruction d’autant de nouveaux logements. La « dette carbone » de ces
bâtiments a aujourd’hui été amortie. La construction d’un bâtiment, même aux meilleures
normes actuelles, représente environ 60% de son bilan écologique, sur l’ensemble de son
cycle de vie. Une réhabilitation, même lourde, est toujours nettement plus écologique, elle
évite la production de déchets ainsi que la fabrication de nouveaux matériaux tels que le
ciment et le béton.

L’architecture a la responsabilité de viser aujourd’hui l’économie de moyens. Cela demande
de l’inventivité, celle dont ont su faire preuve, par exemple, Anne Lacaton et Jean-Philippe
Vassal avec l’opération de rénovation du Grand Parc à Bordeaux. Nous souhaitons qu’une
solution comparable, alternative à la démolition, puisse être trouvée au Mirail.
L’importance patrimoniale des immeubles de Georges Candilis offre toutes les conditions
pour qu’une opération prestigieuse de rénovation architecturale soit entreprise.
Nous vous prions donc de bien vouloir intervenir dès maintenant auprès du président de la
Métropole de Toulouse pour suspendre les opérations, le temps de mandater des experts et
définir les contours de cette alternative, en prenant explicitement en compte les valeurs
patrimoniales, culturelles, humaines et écologiques de ces bâtiments.


Veuillez agréer, Madame la ministre, l’expression de ma haute considération


Christine LECONTE
Présidente