Nous reprenons ici un article publiĂ© Ă l’origine sur le blog https://lejournaldespossibles.net :
Pour les habitants du quartier de la Reynerie, cet éniÚme projet de renouvellement urbain est vécu comme une injustice et un traumatisme.
En Ă©tant concernĂ©e par les relogements, je me suis mobilisĂ©e au sein dâun collectif dâhabitants pour dĂ©noncer les prĂ©judices subis par les personnes les plus vulnĂ©rables, qui reprĂ©sentent la majoritĂ© des habitants des bĂątiments vouĂ©s Ă la dĂ©molition et obtenir une meilleure prise en compte de leur vie et de leurs besoins par les bailleurs sociaux.
Puis jâai rencontrĂ© les membres du collectif des architectes qui sâĂ©lĂšvent contre la dĂ©molition des bĂątiments Candilis et demandent un moratoire sur le dĂ©molition, et un concours dâurbanistes et dâarchitectes pour Ă©tudier sĂ©rieusement la possibilitĂ© dâune rĂ©habilitation des immeubles et dâune requalification du quartier.
Jâai trouvĂ© quâil y avait lĂ une deuxiĂšme injustice, faite cette fois-ci au patrimoine de notre quartier qui mĂ©rite Ă©galement dâ ĂȘtre dĂ©fendu, en urgence, avant quâil ne soit dĂ©moli et effacĂ© des mĂ©moires.
Jâai Ă©tĂ© touchĂ©e dâentendre, pour la premiĂšre fois, des architectes parler de notre quartier, de lâarchitecture de Georges Candilis et de la vision quâils partagent avec lui. Leur discours humaniste est en soi une rĂ©habilitation de ce quartier qui est habituellement prĂ©sentĂ© sous le prisme misĂ©rabiliste.
En tant que parent, jâai toujours veillĂ© Ă prĂ©server mes enfants des regards stigmatisants portĂ©s sur leur quartier qui altĂšrent lâestime de soi. Pour ce faire, je me suis appuyĂ©e sur ses atouts : un cadre verdoyant, le lac, les Ă©quipements et surtout les belles Ăąmes qui y travaillent et celles qui y vivent. Mais Ă aucun moment je ne me suis appuyĂ©e sur la chance que nous avions dâhabiter dans un bĂątiment renommĂ©.
Il a fallu que mon fils rencontre, lâannĂ©e derniĂšre, un groupe de jeunes, en Espagne, qui lui ont demandĂ© oĂč il habitait. Il a rĂ©pondu spontanĂ©ment âĂ la Reynerieâ et pour la premiĂšre fois, il a Ă©tĂ© agrĂ©ablement surpris de les entendre sâexclamer âAh! CANDILIS.â CâĂ©tait des Ă©tudiants de lâĂ©cole dâarchitecture de Barcelone.
En rentrant il mâa dit : â maman tu sais que nos bĂątiments sont connus Ă lâĂ©tranger et Ă©tudiĂ©s dans les Ă©coles dâarchitecture ? Pourquoi les dĂ©molir ? â
JâĂ©tais atterrĂ©e. Comment ai-je pu passer Ă cĂŽtĂ© de cet atout majeur ? Et quel dommage que personne dâautre nây ait pensĂ© ! Ni Ă lâĂ©cole ni sur le quartier. Il nây a aucune plaque ni fresque sur les façades de ces bĂątiments. Câest Ă©tonnant ! Mais il nâest jamais trop tard pour rĂ©parer cette lacune.
Câest pourquoi on doit prĂ©server et valoriser ce patrimoine architectural, afin que tous les enfants issus de ce quartier âdĂ©favorisĂ©â, soient fiers de dire un jour âjâhabite (ou jâai habitĂ©) Ă la Reynerie, dans un bĂątiment CANDILIS !â . Câest un devoir moral de ne pas les priver de ce privilĂšge en confisquant la partie Ă©logieuse de lâhistoire et la mĂ©moire de leur quartier.
Ces bĂątiments ont Ă©tĂ© accusĂ©s Ă tort dâĂȘtre tantĂŽt criminogĂšnes, tantĂŽt source de la misĂšre sociale tantĂŽt de ghettoĂŻsation alors quâen rĂ©alitĂ© ils pansent les maux de la sociĂ©tĂ©. Au-delĂ de leur mission premiĂšre, qui consiste Ă proposer un logement de qualitĂ© pour tous sans distinction, ils procurent un modĂšle du vivre ensemble qui gĂ©nĂšre du lien et de la solidaritĂ©.
Leurs caractĂ©ristiques architecturales favorisent cette propension au contact et aux Ă©changes. MĂȘme aprĂšs avoir Ă©tĂ© scindĂ©s en Ăźlots, ces bĂątiments continuent Ă exercer cette interaction sociale. Quand on sort de son appartement, les occasions de rencontrer ses voisins sont Ă chaque pas que lâon fait le long des coursives. Câest une invitation permanente, que dis-je, une injonction au contact et Ă la fraternisation.
On pensait que ces qualitĂ©s Ă©taient inhĂ©rentes aux habitants du quartier. A prĂ©sent jâen doute. Câest probablement âlâeffet Candilisâ qui a agi sur nous. A moins quâil ne sâagisse dâ une rencontre heureuse entre les deux. Etant une population âsensibleâ, fatalement nous avons Ă©tĂ© permĂ©ables Ă sa philosophie et Ă ses valeurs avec lesquelles nous vivons en harmonie. DâoĂč notre difficultĂ© Ă partir du quartier !
Quand je pense que dans les autres quartiers, il nây a que le jour de la fĂȘte des voisins pour crĂ©er du lien, ici câest un concept pensĂ© et intĂ©grĂ© dans la construction de ce quartier. Câest sa genĂšse, son ADN.
Alors pourquoi sâacharner Ă le dĂ©molir insidieusement, barre aprĂšs barre, pour chercher Ă imposer une mixitĂ© sociale utopique lĂ oĂč la cohĂ©sion sociale et le bien ĂȘtre des habitants pourraient suffire ?
Pourquoi dĂ©molir ce qui reprĂ©sente le cĆur historique de notre quartier ?
Pourquoi disqualifier cette architecture de génie au lieu de la valoriser et la copier partout ailleurs ?
Pourquoi ne pas sâinspirer de ses atouts, du message universel quâelle porte pour passer dâun Grand Projet de Ville, dĂ©marrĂ© il y a 20 ans, Ă un Beau Projet de Ville pour TOUS ?
La demande dâun moratoire est un moyen pour rĂ©flĂ©chir Ă cela. Ce nâest quâ une pause dans cette frĂ©nĂ©sie de dĂ©molition. Et si par malheur on nâarrivait pas Ă relever ce dĂ©fi, malgrĂ© tout ce que compte Toulouse en matiĂšre de compĂ©tence, savoir-faire et talent, il serait toujours temps de faire entrer les pelles mĂ©caniques pour dĂ©chiqueter nos logements.
Mais ce jour-lĂ , par compassion, merci de prĂ©voir, juste Ă cĂŽtĂ© des engins, une cellule psychologique pour tous ceux qui ont osĂ© sâattacher Ă ce qui a fait lâidentitĂ© de ce quartier, envers et contre tous.
Une habitante dâun bĂątiment Candilis
FĂ©vrier 2023