Nous avons reçu ce texte Ă©crit par Josette R., lectrice de notre journal. En voici l’intĂ©gralitĂ©.
1989——2015 Mon Mirail
Une certaine vision du Mirail ou comment peut-on vivre dans ce quartier dit sensible de Toulouse
Oh la la ! Mais vous ĂȘtes complĂštement fous de partir de Tournefeuille et de quitter une maison situĂ©e dans un endroit aussi paisible ! Surtout pour aller vous installer au Mirail. Vous ne revendrez jamais votre bien ! (Comme si on pensait dĂ©jĂ Ă la revente) brefâŠ
Il faut tout de mĂȘme raconter les raisons qui nous ont poussĂ©s Ă prendre cette dĂ©cision.
En effet, en 1989 les oisillons ou plutÎt les donzelles ayant quitté le domicile familial et le mari sous peine
dâĂȘtre licenciĂ©, parti travailler la semaine Ă Pau, je me suis retrouvĂ©e seule dans une grande maison entourĂ©e de 3000m2 de terrain.
Bien que nous ayons pendant pas mal de week-ends passé du temps à restaurer et procédé à des travaux
dâisolation, cette maison demeurait froide et humide. En effet elle Ă©tait construite sur ce que lâon appelle un hayon et ne possĂ©dait pas de vide sanitaire dâoĂč une sensation de froid durant lâhiver. Ajoutez Ă cela la
manipulation répétée de la tondeuse à gazon. Pas le pied quand on a des problÚmes de dos !
Bref, nous avons décidé de vendre la dite maison pour nous rapprocher du centre ville. Mais lorsque nous
avons pris connaissance des prix demandés pour une surface Î combien moins importante, nous avons fait appel à un agent immobilier.
AprĂšs maintes visites infructueuses, celui-ci nous a tenu ce langage :
« Nâayez aucun Ă priori, je vous emmĂšne visiter un appartement au Mirail. »
Lorsque nous habitions encore dans la rĂ©gion parisienne, jâavais entendu parler de Mirail comme une
rĂ©alisation spectaculaire. Il nây avait alors aucun problĂšme particulier ni sur le plan de la dĂ©linquance ni sur celui de lâinsĂ©curitĂ©.
Jâavais en mĂ©moire ce constat plutĂŽt positif du quartier. Je nâavais pas eu lâoccasion, habitant Tournefeuille, de me rendre au Mirail et câest en toute dĂ©contraction que jâai suivi ce brave agent immobilier Ă la Reynerie.
1989 Vente de la maison de Tournefeuille et achat dâun appartement de 5 piĂšces au Mirail.
Jâai dĂ©couvert un espace composĂ© de grands immeubles puis dâun petit de 4 Ă©tages seulement situĂ© au bord dâun lac.
A droite de ce petit collectif de 12 appartements un trĂšs beau jardin plantĂ© dâarbres sĂ©culaires nous ouvrait la porte vers une balade colorĂ©e pleine de senteurs et de bruits dâoiseaux.
Lâappartement mâest apparu, bien quâen mauvais Ă©tat, trĂšs lumineux, vaste et bien conditionnĂ©. De sorte
quâaprĂšs avoir fait visiter le local Ă mon Ă©poux lors de son week-end Ă Toulouse nous avons dĂ©cidĂ© de sauter le pas.
Durant trois mois, il y eut fort à faire pour les travaux de mise en état et les diverses démarches auprÚs de la banque et du notaire ; mais tout fut réglé dans les délais pour notre aménagement.
Sâen est suivi 4 Ă 5 annĂ©es de pleine satisfaction.
Nous avons fait la connaissance de nos voisins pratiquement tous propriĂ©taires et depuis 25 ans nous avons Ă©tabli des relations plus quâamicales. Nous sommes trĂšs solidaires et nous nous rendons maints services.
Câest presque devenu une famille.
La vue sur le lac Ă©tait et est toujours un enchantement. Chaque printemps voit revenir son lot de nouvelles couvĂ©es de canards. Nous observons depuis notre fenĂȘtre leur croissance. Les pigeons viennent se faire nourrir sur notre balcon, les pies trĂšs peu sociables dĂ©fendent leur territoire avec arrogance. A lâautomne les mouettes et les cormorans dĂ©barquent sans oublier deux hĂ©rons majestueux qui reviennent chaque annĂ©e.
Nous avons du investir dans un dictionnaire rĂ©pertoriant 440 variĂ©tĂ©s dâoiseaux pour identifier ceux qui
occupent le parc.
Deux ou trois Ă©cureuils sâinvitent sur le bord des fenĂȘtres pour dĂ©guster des pommes et les noix mises Ă leur disposition par les occupants des lieux.
Les promenades dans le parc nous permettaient et nous permettent de suivre chaque saison, dâadmirer la floraison des tulipiers, des magnolias, des merisiers de la glycine, des rhododendrons sans compter les
parterres de fleurs.
Le sol se recouvre Ă la fin de lâĂ©tĂ© dâun tapis de cyclamens blanc et violet.
On se croirait Ă Marrakech au bord dâun bassin circulaire entourĂ© de palmiers et dâoĂč jaillit au centre un
superbe jet dâeau. Il ne faut surtout pas oublier le petit chĂąteau de la Reynerie qui domine la piĂšce dâeau.
ChĂąteau qui nâen est pas un.
En effet cela sâappelle une Folie.
Cette folie a été la propriété du Comte De Barry époux du moins en titre de la célÚbre maßtresse de Louis XV.
Je crois que cette personne nâa dâailleurs jamais mis les pieds dans cette demeure.
Cet Ă©difice vaut la peine dâĂȘtre visitĂ©, surtout lâintĂ©rieur. Le mobilier a Ă©tĂ© conçu aux dimensions des petites piĂšces qui le composent. Il y a notamment une salle oĂč les murs sont arrondis et les bahuts et canapĂ©s Ă©pousent parfaitement la forme des murs. Les plafonds sont peints et on peut y dĂ©couvrir en plus des dessins dâinstruments de musique des symboles de la Franc-maçonnerie. Cette folie a une grande valeur tant historique que culturelle et pourtant elle pose problĂšme aux diffĂ©rents responsables de la Mairie de Toulouse.
Quâen faire ?
Le propriĂ©taire actuel, issu dâune famille dâagriculteurs qui avait acquis ce bien au moment de la rĂ©volution, ne peut plus subvenir aux travaux dâentretien qui sâimposent.
Contrairement Ă lâavis du Maire actuel de Toulouse, lâancien Maire sâĂ©tait fait acquĂ©reur du chĂąteau pour une somme assez importante mais nâavait pas rĂ©ussi Ă porter un projet viable.
La solution serait peut-ĂȘtre dâen faire un musĂ©e mais de quoi ?
En attendant les habitants du quartier constatent avec tristesse la dégradation de ce monument.
En bref, câest la nature et la beautĂ© Ă quelques encablures du centre de la ville rose.
Sur le plan des commodités, dans les années 90 nous avions à proximité toutes sortes de commerces :
boucherie, épicerie, pressing, tabac presse, pharmacie, cabinets médicaux, banque, magasin de confection sans oublier le supermarché Casino. Tout était à notre portée.
En 1993 lâarrivĂ©e du mĂ©tro nous a permis de nous rendre en moins dâune demi-heure au centre ville.
On peut avoir toutes sortes dâactivitĂ©s sans ĂȘtre obligĂ©s dâutiliser un vĂ©hicule.
Le printemps et lâĂ©tĂ© 1989 ont Ă©tĂ© trĂšs ensoleillĂ©s de sorte que lâappartement Ă©tait un vrai puits de lumiĂšre et pourtant les rĂ©actions de nos proches ont Ă©tĂ© mitigĂ©es : « Dâaccord lâappartement est superbe mais
lâenvironnement avec tous ces arabes âŠ. »
Jâavais beau dire que les relations avec les habitants Ă©taient bonnes, quâil y avait mĂȘme des rapports de
sympathie. Par exemple au supermarchĂ©, il nâest pas rare que je renseigne les vieilles mĂ©mĂ©s qui ne parlaient pas un mot de français sur le prix ou la composition des produits alimentaires. Tout cela dans la bonne humeur et mĂȘme, lâhumour.
Quel spectacle Ă©mouvant aussi de voir, assis au bord de lâeau des pĂȘcheurs de toutes origines !
Et puis, il y a eu la commémoration des 200 ans de la Révolution de 1789. Au bord du lac étaient réunies
toutes les communautĂ©s dans le mĂȘme Ă©lan joyeux, je dirais presque patriotique ;
Il nây avait aucune sĂ©grĂ©gation, aucun signe ostentatoire de religion.
Une association avait ouvert un petit restaurant installé sur un terre-plein surplombant le lac.
Chaque midi une clientĂšle provenant des diverses entreprises de la rĂ©gion sâinstallait pour un temps de
dĂ©tente et mĂȘme de convivialitĂ©. CâĂ©tait un moment fort apprĂ©ciĂ© par quelques Ă©lus.
Je nâoublie pas le centre culturel et sportif de Bellefontaine oĂč il est possible depuis trente ans de faire de
lâaquagym sans compter les autres disciplines sportives et sorties culturelles pour les seniors.
Ătant seule toute la semaine comme je lâai dĂ©jĂ signalĂ© au dĂ©but de notre installation au Mirail je circulais
jusquâĂ tard dans la nuit pour me rendre soit Ă lâusine Thomson oĂč se tenait un atelier de peinture soit pour suivre des confĂ©rences en ville et je nâai eu aucun problĂšme Ă dĂ©plorer.
HĂ©las petit Ă petit les choses ont changĂ© jusquâĂ lâexplosion de 1998.
Nos voitures Ă©taient soit volĂ©es soit vandalisĂ©es. Tous les matins nous retrouvions sur le sol du verre brisĂ©, signe dâune tentative de vol.
Les incivilités ont commencé, les personnes ùgées ont été agressées.
Ma voiture ayant Ă©tĂ© volĂ©e et retrouvĂ©e dans un Ă©tat dĂ©plorable jâai du renoncer Ă lâachat dâun nouveau
véhicule, ce qui constituait une entrave à mon autonomie et quelque part à ma propre liberté.
Mais ceci nâĂ©tait pas trop grave au regard des Ă©vĂ©nements survenus lâannĂ©e 1998.
Année 1998
Que sâest-il passĂ© en 1998 ?
Les Ă©meutes ont commencĂ© Ă la suite dâun fait divers malencontreux qui a mal tournĂ©. En effet un jeune
maghrĂ©bin du Mirail (probablement petit dĂ©linquant) a Ă©tĂ© poursuivi par la police. Comme il nâa pas arrĂȘtĂ© sa course un policier a ouvert le feu. Il a donc Ă©tĂ© blessĂ© et il est restĂ© abandonnĂ©, parait-il agonisant prĂšs dâune automobile.
Il a Ă©tĂ© retrouvĂ© mort le lendemain et câest ce qui a dĂ©clenchĂ© la colĂšre et le soulĂšvement de ses amis et
proches dans le quartier dâoĂč une serie continuelle dâincendies de voitures, de mises Ă sac de bĂątiments
publics et en particulier la Maison de la Justice et du Droit, tagage des murs : « Pipo (surnom du jeune
dĂ©cĂ©dĂ©) On tâaime. »
Nous avons assistĂ© impuissants Ă la tentative de destruction dâun Tabac-Presse dont le propriĂ©taire Ă©tait lâun de nos voisins, celui-ci venait de sâinstaller et voyait son avenir trĂšs compromis. Nous lâavons vu pris dâune rage froide, sortir son fusil de chasse dâun sac Ă provisions et commencer Ă partir pour en dĂ©coudre avec les assaillants de son commerce. Câest alors quâune Ă©lue de la Mairie a suppliĂ© mon mari qui depuis sa mise en disponibilitĂ© professionnelle, avait pris la prĂ©sidence des copropriĂ©tĂ©s du lac de la Reynerie dâintervenir par fax auprĂšs du Ministre de lâIntĂ©rieur de lâĂ©poque Monsieur ChevĂšnement.
Les cars de police et de CRS postés aux abords de la place Abbal avaient ordre de ne pas intervenir soit disant pour ne pas mettre le feu aux poudres alors que le feu était déjà bien installé ?
Je ne vous dis pas le retentissement de cette intervention auprÚs des divers responsables locaux « Comment avez vous pu court-circuiter la hiérarchie ! »
Maie enfin grĂące Ă cela un dĂ©tachement de lâarmĂ©e venant de Saint Gaudens si mes souvenirs sont exacts est venu prĂȘter main forte Ă la police pour tenter de remettre un peu dâordre. Jâai pu avoir un entretien avec lâun des intervenants qui mâa confiĂ© « Si vous habitants du quartier vous vous mobilisez, nous vous suivrons ».
CâĂ©tait pratiquement un appel Ă la guerre civile et bien sĂ»r nous nâavons pas bronchĂ©.
Par contre une Association de dĂ©fense du quartier sâest formĂ©e pour faire connaĂźtre nos revendications et
doléances.
La tĂ©lĂ©vision sâest alors intĂ©ressĂ©e Ă nous. Il y eut une Ă©mission Ă Marseille oĂč mon mari et le PrĂ©sident de la dite association ont Ă©tĂ© conviĂ©s en prĂ©sence du pĂšre dâun jeune homme français de souche qui avait Ă©tĂ© tuĂ© lors dâun affrontement.
DâoĂč ensuite le dĂ©ferlement des mĂ©dias Ă notre domicile ?
Nous avons reçu des journalistes venant mĂȘme dâAustralie et de Nouvelle ZĂ©lande.
Bien sĂ»r le journal local de Toulouse nous a contactĂ© Ă plusieurs reprises pour effectuer des interviews qui prenaient des heures et dont on retrouvait la trace dâune seule phrase souvent sortie de son contexte et arrangĂ©e Ă sa maniĂšre.
Plus grave un journaliste de Canal + payait 50 francs Ă lâĂ©poque des gamins pour quâils lancent des pierres Ă lâentrĂ©e des immeubles dans lâespoir de voir surgir des milices qui auraient tirĂ© sur les gamins.
Une plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e auprĂšs des autoritĂ©s et nous avons gagnĂ© le procĂšs. Le journaliste en question des annĂ©es aprĂšs exerce encore sur lâune des chaĂźnes de la tĂ©lĂ©.
A suivi une pĂ©riode pas trĂšs facile oĂč nous avons eu droit Ă lâinstallation dâun « bordel » dans un appartement en face du notre.
Imaginez le bruit, la musique, les klaxons Ă toute heure de la nuit, les cris et gĂ©missements des convives. A minuit nous tentions dâavoir une intervention de la police, sans suite.
LâhĂŽpital Marchant avait aussi rĂ©quisitionnĂ© un studio destinĂ© Ă loger de jeunes droguĂ©s pour (soi-disant les remettre dans un circuit normal). En pleine crise de manque, ceux ci lançaient par la fenĂȘtre tout ce qui leur tombait sous la main câest Ă dire frigo, tĂ©lĂ©vision etc.
Eux ne se seront pas reconstruits mais nous avons eu droit aux antidépresseurs sans oublier les boules Quies.
Tous ces Ă©vĂ©nements se sont succĂ©dĂ© jusquâen 2001 oĂč lâexplosion dâAZF a, si lâon peut dire calmĂ© les esprits.
La population maghrébine a été superbement indemnisée.
A croire quâil nây avait pas de français de souche Ă avoir subi des dommages. Une amie qui travaillait alors aux services des impĂŽts nous racontait comment plusieurs membres dâune famille se prĂ©sentaient pour recevoir les indemnitĂ©s qui leur Ă©taient accordĂ©es sans contrĂŽle..
Lorsquâelle en avisait sa hiĂ©rarchie, on lui disait « motus et bouche cousue ».
Câest ça la dĂ©magogie et comment on obtient la paix sociale.
En 2005, rebelote et explosion du Mirail mais comme le problĂšme Ă©tait national, nous nâavons pas Ă©tĂ© mis Ă lâhonneur comme si je puis dire comme en 1998.
On peut nous poser la question « Comment avez-vous vĂ©cu tous ces annĂ©es et quâavez vous ressenti face Ă certaines situations dĂ©stabilisantes ?
A cela je rĂ©ponds que nous sommes mon Ă©poux et moi-mĂȘme dâune gĂ©nĂ©ration qui, comme le dit le poĂšte a vĂ©cu Ă une Ă©poque que les moins de vingt ans nâont pas connu. Pour une grande majoritĂ© des français la pĂ©riode de guerre se rĂ©sume Ă quelques films, certes trĂšs bien documentĂ©s mais qui demeurent en deçà du vĂ©cu.
Quand on a subi les bombardements, les restrictions, lâaprĂšs-guerre difficile, un environnement familial
dĂ©sastreux, on relativise les choses et câest ce qui mâest arrivĂ©.
Dâune part jâai horreur de vivre dans le pathos et dâautre part je nâaime pas me sentir victime.
Mon mari, quant Ă lui a connu les attentats qui ont prĂ©cĂ©dĂ© lâindĂ©pendance de la Tunisie et puis il est part en 1959 faire la guerre dâAlgĂ©rie en tant quâofficier.
Donc nous ne sommes pas des novices en matiĂšre dâĂ©motions et de chamboulements.
Aussi nous avons pris notre part des Ă©vĂ©nements du Mirail et puis je dois avouer que jây ai trouvĂ© une sorte dâexcitation. Jâavais lâimpression de faire partie intĂ©grante de lâhistoire mĂȘme si ce nâest quâune petite parcelle
de lâhistoire (avec un grand H).
Et pour finir, allons nous dĂ©mĂ©nager? Eh bien non.. en dĂ©pit de tout cela nous allons rester au Mirail jusquâĂ ce que mort sâen suive.
Lâenvironnement est toujours aussi beau,
Les enfants qui font du bateau sur le lac nous adressent leur plus beau sourire et nous disent quâils sont
heureux dâĂȘtre lĂ .
Quant aux personnes ùgées, surtout les hommes qui ont contribué grùce à leur travail et leur vie difficile à la construction de la France aprÚs guerre nous confient :
« Ces jeunes qui font des bĂȘtises ne se rendent pas compte de la chance quâil ont dâĂȘtre français. »
POINT BARRE
Josette G.