Annie Conter, directrice de publication de Renyerie-Miroir :
Je suis directrice de publication d’un journal de proximité Reynerie Miroir que j’ai crée en 2012 sur le quartier de la Reynerie dont nous souhaitons être un miroir valorisant et donner la parole aux habitants qui ont peu l’occasion de la prendre.
Trimestriel, le journal a, depuis 10 ans maintenant, informé et participé aux animations proposées par les partenaires associatifs ou institutionnels. A plusieurs reprises, nous avons été force de proposition d’événements mettant en relation des habitants et des partenaires, comme par exemple le forum des associations en 2015 et 2016.
Durant le confinement en 2020, les activités étant réduites sur le territoire du fait de la fermeture des lieux de vie collectifs, la vie du journal a été fortement impactée. Nous avons, Nicole Bégot du comité de rédaction et moi-même, réalisé de nombreuses interviews d’artistes du quartier, dans le but de les rencontrer et de les valoriser, conscients de leur difficulté particulière à vivre l’arrêt de leurs activités dû à la fermeture des salles et à l’interdiction de se réunir.
Les interviews se sont déroulées chez Nicole ou chez moi, en respectant toutes les préconisations d’hygiène. Toutes ont été des rencontres exceptionnelles de qualité et d’humanité.
Le numéro 32 a ainsi été presque entièrement consacré aux portraits de 36 artistes de plusieurs domaines : plasticiens reconnus ou moins connus, céramistes, designers, photographes. Nous avons également fait un focus sur l’initiation d’habitantes aux arts plastiques au café des femmes de Bas d’Immeubles qui ont réalisé de grandes fresques dans leur immeuble et à la Maison des Solidarités ou bien encore sur l’initiation de jeunes réalisateurs à la réalisation de courts-métrages à l’école de cinéma D.E.F.I. Production. De vraies pépites !
Nous avons découvert des artistes aux multiples talents, des danseur.e .s , un sculpteur sur bois, un orchestre de jazz, un musicien occitan, un conteur et des artisans fabricants de bijoux à Imaginations fertiles .
Pour chaque artiste, nous avons écrit un article qui le présentait, avec sa photo (sauf quand iel ne ne souhaitait pas) et une de ses œuvres quand elles sont matérialisées. Pour certaines œuvres, nous sommes allés les photographier chez eux ou dans leur atelier, permettant de découvrir leur lieu de création artistique et ainsi d’humaniser la rencontre.
Et nous avons poursuivi dans les numéros suivants découvrant d’autres créateurs et créatrices que nous signalaient les lecteurs du n°32. Une experte en quilling, un relieur, une canneuse brodeuse, quatre artistes peintres dont la doyenne Odette de 90 ans, un dessinateur, une dessinatrice conteuse, un slameur, le groupe de danse les Belles de la Fontaine, composées de danseuses parfois très jeunes (5 ans), trois auteurs compositeur interprètes,
Nous étions émerveillées par la richesse de notre quartier, sa pluridisciplinarité, et sa réalité intergénérationnelle et multiculturelle. Tous ces artistes ne se connaissaient pas et ont découvert via le journal leur existence et talents mutuels. Certains ont ensuite collaboré comme le plasticien Boris Lugan et la danseuse Pamela Dalcol, ou bien se sont mutuellement inspirés. Sophie de Angelis de l’association Moshen et co-directrice du journal, a ainsi créé des bals populaires associant la danse traditionnelle, la musique occitane -la cornemuse et l’accordéon- de Claude Romero à celle de Monaïm du groupe Mosaika d’inspiration africaine, faisant ainsi résonner et se rencontrer les cultures. En 2021 et 2022, la joie se partageait sur la place, aux bals Trad’ entre habitants d’ici et ceux venus d’ailleurs (d’autres quartiers ou d’autres pays).
Et au printemps 2022, riche de cette mise en œuvre des droits humains et de liberté d’expression artistique individuelle et collective, le projet s’est poursuivi.
Je laisse Emmanuelle vous conter la suite, je veux dire la naissance des Banlieuz’arts.
Emmanuelle Montagut du Centre Culturel Reynerie :
Fort de ce constat et de cette richesse artistique sur le territoire, Sandrine, animatrice au Centre Social à décidé de réunir ces artistes en collaboration avec le Centre Culturel et le journal Reynerie Miroir.
Des rencontres régulières ont donc vu le jour avec ce collectif composé d’artistes débutants et expérimentés mais surtout des personnes qui ne se connaissent pas.
L’idée dans un premier temps était de créer du lien, de faire lien avec les autres…puis au vue de la composition du groupe de sa diversité multiculturelle et artistique il a été question de conciliation : Chacun évoque ses valeurs, le sens qu’il donne à son art.
Rassembler les idées, accompagner la parole de chacun… Ceci n’a pas été une perte de temps car cela a développé au sein du collectif une relation d’humanité.
Ces rencontres ont permis un attachement affectif, une relation de confiance une écoute qui fait consensus avec les idées qui émergent autour d’une œuvre collective : l’expo des Banlieuz’Art et un vernissage le 6 juillet.
Pour la réalisation les habitantes/habitants ont pu s’appuyer sur le dispositif « agir dans mon quartier » et la mutualisation de moyens des structures institutionnelles via Sandrine et moi-même.
Au programme de cette soirée : balade artistique dans le quartier permettant de mettre à l’honneur les initiatives personnelles et collective comme la Fresque du café des femmes, l’atelier de Marika…
Puis arrivée au centre Social avec une ouverture musicale et dansée : langage universel qui rassemble de jeunes Syriens, Mounaïm et ses percussions et Claude Romero avec son accordéon.
Et puis…les rencontres se poursuivent… et dans une perspective d’ouverture, le collectif décide de faire un « finissage » en septembre afin de permettre aux personnes n’ayant pas pu venir le 6 juillet de voir…L’ouverture vers d’autres publics est prépondérante.
Également la possibilité pour des habitants artistes de rejoindre la dynamique et de se mettre en scène, ainsi Suzanna jeune artiste du quartier a proposé une danse, un trio de chants « Fascination » composé de Marika, Claude, Didier de se créer. Et finalement une évidence, cette porosité entre public et artistes.
Pierre Mersadier-Vigroux, artiste plasticien :
Nous avons convenu, en préparant cette présentation que mon intervention aborderai le sujet de « l’art, comme vecteur d’émancipation ».
Je suis Pierre Mersadier-Vigroux membre fondateur avec Sophie de Angelis et Claude Fara Komano, du collectif artistique multidisciplinaire https://Moshen.fr, nous sommes situé à la Reynerie, nous y vivons également. En tant que collectif on essaie de faire vivre des initiatives artistiques sur le quartier, notamment dernièrement avec l’organisation de bals traditionnels Occitan/Chaabi.
Sur le sujet qui nous préoccupe ici, je vais donc pousser le bouchon un peu plus loin, car on peut aussi reconnaître « Les Banlieuz’arts » comme un vecteur important d’émancipation.
Cette idée d’exposition artistique collective, préparée par de nombreuses personnes sur plusieurs mois voire années, suivie et produite par le Centre Social (et c’est très important), a rendu possible un moment d’expression commune, transculturel (Arménie, Syrie, Occitanie, Maroc, …), transgénérationnel (de 13 à 90 ans), transdisciplinaire (musique, peinture, photographie, danse, design, sculpture).
Cela pourrait paraître assez anodin, c’est pourtant essentiel car c’est comme cela que des sociétés paisibles se construisent et se maintiennent : par la possibilité de l’expression, de la reconnaissance mutuelle, de l’écoute et du respect de l’autre.
Cela pourrait paraitre pas grand chose, c’est pourtant essentiel.
Reprenons, si vous le voulez bien, un message de Martin Luther King :
« Une émeute est le langage de ceux que l’on n’entend pas ».
Les arts et les artistes ne sont pas uniquement là pour ‘décorer’ (c’est même leur mission la plus accessoire) ; pas plus d’ailleurs que nous n’avons la responsabilité de résoudre les problèmes de ce monde. Artistes, nous sommes d’abord et avant tout des éponges à sensations, des capteurs de l’émotionnel, curieux des points de vues de chacun, de la multiplicité et de la diversité des interprétations, avides des multiples niveaux de lecture dans des situations sociales complexes.
Comprenons ici que les artistes aiment souvent d’abord écouter, observer.
On conviendra aisément que personne n’a réellement de réponse magiquement définitive sur le sens de nos vies, ou de nos sociétés, mais le fait de préparer un accueil, un contexte propice, et les Banlieuz’Arts en ont été un magnifique exemple, revient à pouvoir se poser ensemble des questions sensibles, importantes, sans langue de bois et en toute confiance, bref dans des conditions qui le permettent vraiment. C’est tout à fait remarquable, on peut aujourd’hui en mesurer toute l’importance.
On y a finalement trouvé, ou retrouvé, des expressions sensibles, directes, profondes et très belles, très efficaces, touchant nos cœurs, nos corps, rencontré et tissé des liens avec des personnes avec qui pourtant nous n’avions, à priori, pas grand chose en commun, et nous avons partagé tout cela collectivement très aisément, sans gène et en toute bienveillance.
A partir d’un pretexte somme toute assez banal, mais sur lequel je me permets d’insister : celui de l’artistique.
Cela revient, si nous observons attentivement ce rituel, à élever collectivement nos consciences, de manière assez indolore, sans obstacle bloquant.
Cela revient à produire du sens, mais un sens incarné, puissant parce que réel, direct et juste, et c’est comme cela n’en déplaise aux experts autoproclamés et autres stars de plateaux TV, que l’on forge de manière autodidacte mais très efficacement, une société.
Références :